http://www.forum-dansomanie.net/pagesda … hudin.html
Semyon Chudin (Bolchoï) : Le Prince de Monaco

29 décembre 2016 : rencontre avec Semyon Chudin (La Belle, Jean-Christophe Maillot)

Admirable interprète des grands ballets classiques, réputé pour son élégance et sa virtuosité, Semyon Chudin a donné à voir tout son génie poétique dans le rôle de Lucentio, qu'il interprétait, aux côtés d'Olga Smirnova, dans La Mégère apprivoisée, créé par Jean-Christophe Maillot pour le Bolchoï en 2014. Invité par le chorégraphe en décembre 2016 pour sa reprise de La Belle avec les Ballets de Monte-Carlo, il a pris le risque, avec sa partenaire du Bolchoï, de se frotter plus avant avec le travail de celui-ci auprès de sa compagnie. Avec la gentillesse et la sincérité qui le caractérisent, aux antipodes des postures du « star-system », il a bien voulu répondre à quelques questions sur cette nouvelle expérience et ce nouvel habit de Prince - monégasque.

Chudin Smirnova La Belle
Semyon Chudin et Olga Smirnova dans La Belle (chor. J-C. Maillot)

Vous interprétez régulièrement au Bolchoï les rôles de prince du répertoire classique, entre autres dans La Belle au bois dormant. Qu'a de différent le Prince dans le ballet de Jean-Christophe Maillot?

Semyon Chudin : La différence est énorme. C'est une autre chorégraphie et une autre approche du rôle. Il faut changer du tout au tout sa conception du personnage et son attitude. Il s'agit là d'être un homme vrai. Ce n'est pas la peine de souligner par une attitude particulière qu'il est le prince. Au contraire, il faut laisser tomber l'attitude «princière» du prince. Il ne faut pas «faire», mais «être».

Comment se sont déroulées les répétitions de La Belle?

Les répétitions avec Jean-Christophe sont toujours agréables, mais je dois dire que c'était difficile pour moi au début. Son vocabulaire est différent et il me fallait assimiler beaucoup de choses. Jean-Christophe voulait que l'on fasse tout tout de suite, qu'on trouve la forme, l'intention exacte, etc... C'est toujours génial de travailler avec un chorégraphe contemporain vivant. C'est toujours un défi. C'est comme si l'on apprenait une nouvelle langue. Disons que ce n'est plus le russe que l'on apprend, mais l'anglais ou le français. Jean-Christophe a son propre langage, son propre vocabulaire chorégraphique. Comme j'ai déjà eu l'occasion de travailler avec lui sur La Mégère apprivoisée, je savais à peu près comment ça se passait avec lui et je connaissais déjà certaines choses. Mais je voulais me rapprocher davantage encore de ses intentions. Je crois qu'on arrive aujourd'hui à avoir une véritable relation, une véritable proximité dans l'échange chorégraphique. Ce qui me plaît beaucoup, c'est qu'il n'y a pas de mouvement vain - vide de sens - chez Jean-Christophe. Chaque mouvement signifie et raconte quelque chose. Il nous en explique la raison et on comprend pourquoi on le fait. Il sait raconter formidablement une histoire.

Le ballet accorde une place importante au Prince, puisque tout l'acte I, notamment, lui est consacré. C'est un changement majeur par rapport aux versions classiques, centrées autour de la ballerine. Y trouve-t-on une satisfaction nouvelle en tant qu'interprète?

Bien sûr que ça me plaît, mais en même temps, c'est une grosse responsabilité, parce que le spectacle commence tout de suite avec le Prince. Dès le début, il est très actif, très dynamique. Il faut donc parvenir à entrer tout de suite dans son personnage. Je me réveille et je suis plongé dans un livre. Il n'y a pas une introduction qui amène doucement le personnage. La connexion doit se faire instantanément et le public doit comprendre que l'histoire commence. Ce n'est pas simple du tout.

L'acte III montre une intimité du Prince avec la Belle dont on n'a pas non plus l'habitude dans le ballet classique. Quelles ont été les difficultés que vous avez rencontrées dans l'interprétation de ce duo, composé d'un long baiser avec votre partenaire?

Au début, on a essayé tranquillement de comprendre comment fonctionnaient les portés, de voir les différents éléments techniques... Ensuite, Bernice Coppieters et Chris Roelandt, qui ont créé les rôles de la Belle et du Prince [en 2001, ndlr.], nous ont énormément aidés lors des répétitions. Ils nous ont vraiment nourris à la petite cuillère comme on nourrit des bébés. Ils nous ont montré et expliqué comment eux avaient procédé. C'était une aide énorme. Nous avons vraiment eu pour cela des conditions de répétition formidables. C'était très agréable de travailler avec Chris et Bernice. Ce sont pour moi des moments inoubliables.

Cela vous intéresserait-il aujourd'hui d'interpréter le Prince dans la version de Noureev, qui accorde plus de place au danseur que dans les versions traditionnelles?

Oui, j'aimerais beaucoup danser sa version, mais pour cela, il faut aller travailler sur place, auprès de Manuel Legris – c'est lui le meilleur! Dans un autre registre, j'ai pu voir récemment le dernier spectacle de Jean-Christophe, Aleatorio, et j'aimerais beaucoup danser aussi Presque rien. J'ai vraiment été bouleversé par ce duo.

Aleatorio Presque Rien
Christian Tworzyanski et Maud Sabourin dans Aleatorio (chor. J-C. Maillot)

Vous dansez beaucoup avec Olga Smirnova au Bolchoï. Jean-Christophe, lui, vous réunit de son côté dans son ballet. Qu'est-ce qui fait qu'entre vous «ça» marche?

Les gens disent qu'on va très bien ensemble. On danse effectivement beaucoup ensemble, et, de fait, on est vraiment habitués l'un à l'autre. Je crois que ce que les gens voient en nous, c'est une harmonie, une compatibilité à la fois psychologique et physique. Au début des répétitions, il pouvait y avoir des tensions, de petites disputes entre nous. C'est tout à fait normal dans un studio de danse, surtout quand on travaille sur des choses aussi intimes. Mais on arrive toujours à trouver une issue. Je crois qu'il faut parler avec sa partenaire, dans n'importe quelle situation et quelles que soient les difficultés, pour trouver ensemble une solution. Quand on répète, au fur et à mesure, la fatigue s'installe et on peut devenir agressifs. Il faut donc toujours être à l'écoute de sa partenaire, savoir «se sentir» l'un l'autre, car c'est cela qui crée une harmonie sur scène. Et s'il y a de mauvaises ondes, il faut parvenir à les dépasser. Jean-Christophe est formidable pour cela, car c'est quelqu'un de très positif et de très drôle. Alors oui, on peut dire que c'est ma meilleure partenaire. Parfois, une partenaire peut te dire oui quand tu lui demandes de faire comme ceci ou comme cela, mais ensuite, elle ne le fait pas. Avec Olga, c'est agréable et confortable : nous sommes habitués l'un à l'autre, nous faisons attention l'un à l'autre, nous sommes à l'écoute l'un de l'autre. Je ne peux pas l'expliquer, mais il y a ce quelque chose qui fait qu'on va bien ensemble sur scène.

Comment allez-vous aborder tous les deux à présent La Belle au bois dormant classique [à l'affiche au Bolchoï les 20 et 22 janvier et retransmis en direct par Pathé Live le 22 janvier, ndlr.]?

Je ne sais pas vraiment. Sans doute cette expérience va-t-elle m'aider. Sans doute vais-je trouver, grâce à elle, de nouvelles sensations. Je suis très curieux en tout cas de voir comme cela va se passer. La Belle au bois dormant est un de mes ballets préférés de Youri Grigorovitch et j'aime le rôle du Prince. Mais La Belle de Jean-Christophe a complètement transformé ma conception des choses. Jean-Christophe donne énormément de liberté à ses interprètes. Bien sûr, avec lui, une cinquième position doit être une cinquième position, mais il veut d'abord voir un homme vivant avec des émotions, des sentiments, un homme qui aime, qui souffre.... C'est là toute la différence avec le ballet classique. Alors oui, je suis vraiment curieux de voir comment cela va se passer quand je vais rentrer à la maison et comment je vais me comporter durant les répétitions du ballet. Jean-Christophe m'a ouvert des fenêtres. Il m'a poussé à sortir des cadres et à aller chercher plus loin.

Propos recueillis et transcrits par Bénédicte Jarrassse.
Entretien réalisé en Russe.

Chudin Smirnova La Belle
Semyon Chudin et Olga Smirnova dans La Belle (chor. J-C. Maillot)

Le contenu des articles publiés sur wwwdansomanie.net et wwwforum-dansomanie.net est la propriété exclusive de Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de citation notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage privé), par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Entretien réalisé le 29 décembre 2016 - Semyon Chudin © 2016, Dansomanie